A l’occasion de la sortie de Rivages de Korantie, nous vous proposons un entretien avec Jonathan Drake, auteur de l’ouvrage et créateur du monde de Thennla.  Jonathan nous raconte son parcours de rôliste, la genèse et l’évolution de Thennla, et livre même quelques conseils à ceux qui feront leurs premiers pas en Korantie !

Quand as-tu découvert les jeux de rôle ?

Lorsque j’étais en école préparatoire, j’ai vu d’autres garçons rassemblés autour d’une table : ils jouaient avec de drôles de dés et devaient progresser dans un labyrinthe dessiné sur du papier millimétré. Je faisais partie de ceux qui pensaient « Cela a l’air marrant, j’aimerai bien essayer », ce qui était loin d’être une réponse universelle.

Joues-tu encore régulièrement ?

Hélas, non. Avec quatre enfants scolarisés et une entreprise à gérer, je n’ai guère le temps de jouer. Mes meilleurs amis, que j’ai tous connus au fil de longues années de séances de JDR, se sont dispersés à différents endroits du Royaume-Uni, et même en Nouvelle-Zélande. De temps en temps, je joue en ligne, mais ce n’est pas la même chose que d’avoir ses amis autour d’une table. Un de ces quatre, j’adorerai pouvoir être un joueur au lieu de maitre de jeu.

Tu as commencé à créer Thennla au début des années 1980. Comment est né le monde ? Quelles étaient tes principales influences ?

Dès 11 ans, j’étais quelque peu obsédé par l’histoire antique. C’était une des raisons qui m’avait poussé dans les bras de RuneQuest et de Glorantha, dont l’ambiance tranchait avec le décor pseudomédiéval de nos parties de D & D. Dès l’instant où j’ai pu imaginer mon personnage avec un casque corinthien et un bouclier hoplite, j’étais conquis !

Thennla est resté proche de ses inspirations antiques, bien que durant ma jeunesse, je ne me souciais pas de la cohérence du monde. Toutefois, j’avais toujours tenu à le différencier de Glorantha, afin d’offrir un autre style d’aventures, quelque chose de plus « terre à terre » et de plus proche de l’ambiance épée & sorcellerie. Pour moi cela signifiait que la destinée du monde était guidée par les ambitions humaines et non par les cultes ou les mythes. Le cycle d’Elric fut une autre influence importante ; malgré les thèmes cosmiques et la magie parfois démesurée, les faiblesses et préoccupations humaines restaient au centre de l’histoire, même parmi les Melnibonéens !

Le monde de Thennla a-t-il beaucoup changé depuis ses débuts ?

Il s’est agrandi avec l’exploration de nouvelles régions, que ce soit parce que je voulais mettre en place des aventures maritimes ou changer de décor. Ma politique a toujours été d’étendre le monde que j’avais déjà plutôt que d’en créer un autre. Les premières parties se sont déroulées en Korantie et dans son voisinage ; nous avons ensuite joué en Assabie dans une ambiance Mille et Une Nuits, puis nous avons parcouru l’Océan Intérieur, jusqu’à arriver en Jandekot. Enfin, nous avons recommencé une campagne avec de nouveaux PJ dans l’Empire taskien. Évidemment, au fil du temps, j’ai amélioré la cohérence, enlevé ce qui ne fonctionnait pas ou était trop calqué sur une autre œuvre, et j’ai aussi écrit sur des régions ou des personnages qui n’ont jamais été utilisés en jeu.

L’histoire éditoriale de Thennla débute avec le supplément Age of Treasor, publié par Mongoose. Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet ?

Un de mes amis était en relation avec Mongoose Publishing et il m’a présenté à Matt Sprange. Nous avons alors convenu que j’écrirai le livre et que Mongoose le publierait. Je n’avais jamais rédigé un livre auparavant, sans même parler d’un livre de JDR, et Mongoose ne m’a guère aidé. Tout adapter aux règles les plus récentes a été particulièrement difficile : j’étais très content de RQ3, que je connaissais très bien, et la nouvelle édition de RQ me faisait l’effet d’un énorme pas en arrière. J’ai travaillé dessus en essayant de voir à quel point je pouvais modifier les règles pour que le projet soit viable. Heureusement, en cours de projet, une nouvelle édition (MRQ2) est sortie : réalisé par Lawrence Whitaker et Peter Nash, ce système était une énorme amélioration. Cependant, avant même la fin du projet, Mongoose a perdu la licence RuneQuest, et Age of Treason est devenu un supplément Legend (nouveau nom de MRQ2). Je n’étais pas content : je ne faisais pas cela pour l’argent et la marque RuneQuest était importante pour moi. Mais je ne me m’en soucie plus aujourd’hui, étant donné que Thennla a connu une version RQ6 avec l’aide de Lawrence Whitaker et de Peter Nash. Aussi bien les règles que les créateurs de Mythras sont remarquables et je suis plus qu’heureux que Thennla fasse partie d’une gamme aussi excellente.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

J’apporte mes réflexions à Bruce Turner et à Lawrence Whitaker, qui accomplissent un formidable travail créatif sur un futur supplément détaillant les Jekkarines. Je compile aussi mes notes sur l’Assabie, et je regarde comment adapter à Mythras la cité de Sorandib, décrite dans The Iron Companion (supplément Mongoose). Enfin, j’ai déjà accompli le plus gros du travail pour adapter les aventures taskiennes publiées dans Age of Treason, avec quelques mises à jour et améliorations.

Selon toi, quels sont les principaux points forts de Thennla ?

J’apprécie de pouvoir passer facilement d’une intrigue politique sérieuse à de l’aventure pure et dure sans « casser » le monde, et de trouver des idées d’aventures à partir des affaires aussi bien des gens ordinaires que des rois et des empereurs. J’ai fait de mon mieux pour que tous ces éléments aient leur place et leur raison d’être ; j’essaie d’éviter l’approche « oubliez la logique, c’est du fantastique », tout en étant conscient que la recherche de réalisme ne doit pas occulter les éléments fantastiques et magiques.

Si tu pouvais prendre ta retraite en Thennla, quelle serait ta destination ?

Bonne question ! Une maison à Thyrte me plairait bien. Je passerais surement une bonne partie de mon temps à l’auberge de la Nagoire Bleue ; j’admirerais l’océan tout en savourant un vin solarnien refroidi avec de la glace en provenance des montagnes oziriennes. Je rencontrerais les gens de tous horizons, et entendrais de belles histoires.

Quel conseil donnerais-tu à un maitre de jeu débutant dans le monde ?

Ne cherche à être incollable sur le monde : laisse le MJ te renseigner progressivement au fil des aventures jusqu’à ce que tu sois suffisamment à l’aise pour établir tes propres objectifs. Essaie aussi de te mettre dans la tête d’un humain de l’époque préindustrielle, ce qui rendra le monde beaucoup plus facile à comprendre. Tente de réfléchir à ce qu’un véritable individu ferait et aux défis pratiques qu’il rencontrerait. Et si tu penses que les gens de pouvoir sont tous de « haut niveau », détrompe-toi : il existe de nombreux moyens d’accéder au sommet, et certains sont totalement fortuits. Enfin, que tu sois joueur ou MJ, considère les PNJ comme des gens « ordinaires » : ils peuvent faire des erreurs, agir sur la base d’informations imparfaites, être retardés par la circulation, avoir un jour sans…

As-tu des suggestions de livres ou de films pour un maitre de jeu qui voudrait mettre en place une campagne korantienne ?

Je dois avouer que je ne lis pas de littérature fantastique… Je ne peux donc pas apporter d’aide sur ce point. Mais je suggère la série Rome de HBO pour restituer une ambiance antique crédible. Je recommande aussi la lecture de feu Moses Finley : il a rédigé dans un style brillant des ouvrages académiques et grand public. Ses livres sont faciles à trouver et le fait qu’ils soient scientifiquement obsolètes importe peu dans notre cas. Le film Conan le Barbare des années 80 est aussi une belle inspiration, notamment pour évoquer les frontières de l’Empire taskien : les paysages, les costumes et les scènes de combat sont superbes.. Les vieilles aventures se déroulant dans les Jeunes Royaumes (Stormbringer, Elric§) peuvent donner pas mal d’idées si on arrive à les trouver à un prix correct.

Enfin, que penses-tu de la situation actuelle du jeu de rôle  ?

Ma perspective est très étroite. Par exemple, je ne vais pas aux conventions et je fréquente seulement quelques forums en ligne ; je ne sais pas à quel point des membres actifs de forums sont représentatifs des gens qui jouent réellement. De temps à autre, je me rends dans une des boutiques proches de mon lieu de travail (Orc Nest à Londres) et de mon domicile (Gameskeeper à Oxford). Dans les deux boutiques, la sélection de jeux de rôle est limitée et ne se renouvèle guère : il est clair que leur chiffre d’affaires provient des jeux de plateau et des jeux de cartes.

Toutefois, il existe des millions de personnes qui jouent à des jeux de rôle informatiques comme World of Warcraft ou Elder Scrolls, donc l’appétit pour les jeux fantastiques est là. Si seulement une partie d’entre eux découvraient l’existence des jeux de rôle “sur table”, cela aiderait beaucoup l’industrie du JDR. Mais nous verrons peut-être un jour un Elder Scrolls X où un MJ virtuel pourra répondre instantanément aux actions des joueurs et créer de nouvelles aventures ou de nouveaux PNJ à sa guise.

Merci pour cet entretien et longue vie à Thennla !