Lawrence Whitaker est un vétéran du jeu de rôle : il a collaboré pendant de longues années avec Chaosium et Mongoose avant de cofonder The Design Mechanism. Sa riche ludographie comprend notamment deux éditions de RuneQuest et de nombreux suppléments, que ce soit pour Conan d20, Elric, RuneQuest ou encore Traveller.

Aujourd’hui, il travaille sans relâche sur Mythras, le successeur de la 6e édition de RuneQuest : coordination, écriture, édition, maquette, relations publiques… Un véritable homme-orchestre !

Sans plus tarder, passons à l’entretien.

D’où vient ta passion pour les jeux de rôle ?

Vers 1981 ou 1982, j’ai lu un article sur des jeux qui n’avaient ni plateau, ni gagnants, ni perdants, et qui pouvaient être étendus avec des aventures se déroulant dans des univers de science-fiction ou de fantastique. Comme j’étais un lecteur avide de SF et de fantastique, ces jeux m’ont intrigué. Après avoir joué à une aventure solitaire de Tunnels & Trolls dans un magazine appelé The Gamer, j’étais conquis. Ensuite, je suis passé à la vitesse supérieure : version « boite violette » de D & D Basic reçue à Noël, puis Traveller et bien d’autres.

Comment t’es-tu impliqué professionnellement dans le jeu de rôle ?

J’ai envoyé à Chaosium une idée de scénario pour Ringworld vers 1985, et ils m’ont demandé de collaborer à un supplément de campagne. J’ai consacré tout l’été à rédiger une aventure pour ce supplément. Bien que ce supplément ne soit jamais paru (car Chaosium avait perdu la licence Ringworld), j’ai ensuite eu l’occasion de participer à une campagne Stormbringer qui deviendra Rogue Mistress. Pendant près de sept ans, j’ai régulièrement contribué à la gamme du Champion Éternel de Chaosium.

Rogue Mistress, supplément pour Stormbringer. Premier travail publié de Lawrence Whitaker. Image tirée du Guide du Roliste Galactique. Tous droits réservés.

Lorsque Pete Nash et toi prenez en main Mongoose RuneQuest 2 (MRQ2), l’ancêtre direct de RQ6 et de Mythras, quels étaient vos objectifs ?

D’améliorer Mongoose RuneQuest 1 (MRQ1). Si MRQ1 n’avait pas reçu un très bon accueil, le jeu avait en fait beaucoup d’idées d’excellentes. Selon nous, ces idées, un peu retravaillées et équilibrées, pouvaient former un très bon système à pourcentages, digne de porter le nom RuneQuest. Nous avons donc cherché à enlever les règles qui ne fonctionnaient pas, à améliorer celles qui étaient bonnes et à les faire opérer comme un tout cohérent.

Quel fut le plus grand défi lors de l’écriture des règles de MRQ2 ?

Qu’on nous demande de réduire la pagination d’un tiers. Lorsque nous avions commencé à travailler sur MRQ2, on nous avait laissé carte blanche. Toutefois, après soumission du manuscrit, on nous a demandé de réduire la quantité de texte pour faciliter la traduction en français. Quand vous avez passé près d’un an à réaliser un jeu avec des mécanismes que vous pensez cohérents et bien construits, il faut réécrire beaucoup d’éléments pour qu’ils puissent tenir dans un ouvrage plus court.

Mongoose RuneQuest 2. Image extraite du Guide du Roliste Galactique. Tous droits réservés.

Comment le système a-t-il évolué de MRQ2 à Mythras ?

Comme Mongoose a décidé de ne pas renouveler sa licence RuneQuest, Pete et moi avons décidé de tenter notre chance. Nous en avons parlé avec Greg Stafford, avec qui nous entretenons depuis longtemps des relations amicales. Après que nous lui ayons soumis un business plan détaillé et des exemples de ce que nous comptions faire avec le système, Il a accepté de nous faire confiance : la 6e édition de RuneQuest put ainsi voir le jour.

Après 5 ans, les droits de la marque RuneQuest sont passés à Moon Design Publishing, qui a décidé de ramener le jeu dans l’escarcelle de Chaosium. Comme nous voulions continuer à soutenir le système utilisé pour RQ6, nous avons décidé de le renommer Mythras.

D’après toi, qu’est-ce qui différencie Mythras des autres jeux de rôle ?

Mythras est un système à l’ancienne, « simulationniste » et de complexité moyenne. Nous n’avons pas cherché à le rendre radicalement innovant, mais nous pensons avoir créé des règles flexibles, nuancées et cohérentes qui sont faciles à adapter à n’importe quel genre. Je ne crois pas qu’un élément en particulier distingue Mythras des autres jeux de rôle, mais je me plais à penser que nos travaux portent la marque de notre expérience, de nos réflexions et de notre souci de qualité. Nous n’avons jamais cherché à redéfinir les jeux de rôle ou à créer des règles novatrices : nombre d’excellentes compagnies le font déjà. En revanche, nous faisons de notre mieux pour produire des suppléments et des aventures bien écrits et bien finis pour montrer la flexibilité des règles de Mythras.

Tu es un grand amateur de Moorcock et tu as contribué à de nombreux suppléments de JDR lié à ses œuvres : quelle influence a-t-il eue sur ta façon d’écrire les jeux de rôle ?

Une influence énorme. Les œuvres de Moorcock m’influencent encore aujourd’hui. Un de nos derniers scénarios, Madness & Other Colours, était originellement un scénario pour Stormbringer ; en le retravaillant pour Mythras, je repensais aux vieilles histoires d’Elric qui l’avaient inspiré et à quel point j’aimerai en écrire d’autres dans la même veine. Moorcook a façonné la façon dont je perçois le fantastique, et les histoires d’Elric en particulier m’ont aidé à développer mon style de conception de scénarios. D’ailleurs, en ce moment, je maitrise une campagne qui se déroule dans une Angleterre tudorienne alternative qui se rapproche de plus en plus de l’histoire de l’Angleterre élisabéthaine racontée par Moorcock dans Gloriana (qui est mon ouvrage préféré de lui). Bref, je ne ferai pas ce que je fais aujourd’hui sans Moorcock.

Madness & Other Colours, scénario pour Mythras.

Qu’est-ce que tu préfères écrire ?

Les cadres de jeu et les aventures, sans hésitation. Je peux être aussi créatif que je le désire. J’apprécie aussi la rédaction de règles, mais cela demande de la discipline ; quand je veux travailler sur des règles, je le fais toujours avec Pete [Nash] (depuis près de 20 ans maintenant).

Quels sont tes univers préférés de jeu de rôle ?

Je suis un grand fan de Dying Earth (Dying Earth, la Vieille Terre en français) et de Bushido. L’Appel de Cthulhu est aussi un de mes jeux favoris, bien que j’y joue rarement.

Aujourd’hui, je joue habituellement dans mes propres cadres de jeu, car il faut bien que je teste mes créations ! Toutefois, je fais une exception : Pete [Nash] maitrise une partie fabuleuse de Mythras dans l’univers du cycle Culture de Ian M Banks et j’adore y jouer.

Concernant les systèmes de jeu plus récents, j’ai vraiment apprécié l’Anneau Unique, la 5e édition de D & D et Swords & Wizardry. Je suis toujours partant pour tester un nouveau système, car il y a toujours quelque chose à en apprendre ou des idées qui pourraient m’inspirer.

The Dying Earth, un des jeux fétiches de Lawrence Whitaker. Image tirée du Guide du Roliste Galactique. Tous droits réservés.

 

Es-tu un rôliste sur table pur et dur ou est-ce que tu t’aventures aussi du côté des jeux vidéos ?

Rôliste sur table pur et dur. Je n’ai pas joué sérieusement à un JDR informatique depuis Dark Forces [qui est en fait classifié comme jeu de tir à la première personne]. Mon fils a essayé de m’initier à The Witcher, mais je n’ai vraiment pas de temps à consacrer aux jeux informatiques.

Comment penses-tu que le secteur du JDR va évoluer dans les prochaines années ?

Je pense qu’il a un futur très sain et très prometteur. Il ne formera jamais un marché de masse, mais si les JDR devaient mourir, ils auraient déjà été enterrés. Au contraire, après avoir survécu au choc des cartes à collectionner et des jeux de rôle en ligne, les jeux de rôle traditionnels prospèrent à nouveau. De façon plus importante, ils ne sont plus aussi stigmatisés et sont même devenus, dans une certaine mesure, « respectables ». Un nombre croissant de gens estiment que ces jeux encouragent l’imagination, les relations sociales, la pensée créative et une approche « multimédia » [dans le sens où le JDR peut utiliser comme support des images, des musiques d’ambiance ou des logiciels et que sa pratique peut encourager l’acquisition de connaissances diverses : histoire, narration, psychologie, etc.]. De plus, le fantastique, à travers Game of Thrones, les adaptations cinématographiques du Seigneur des Anneaux et la longévité de Donjons & Dragons ou de Warhammer, est désormais ancré dans la culture populaire. Je pense donc que le secteur du JDR sera stable : il conservera la niche qu’il s’est aménagée et renouvèlera les effectifs des joueurs, ce qui est vital. Il n’attirera peut-être pas des centaines de milliers de nouveaux joueurs, mais là n’est pas l’essentiel. Les JDR ont prouvé qu’ils étaient plus qu’une simple mode : ils sont là pour durer. Leur forme changera certainement, mais honnêtement, tout ce dont vous avez besoin pour un JDR est un groupe de joueurs, quelques dés, du papier, et la volonté de suspendre votre crédulité pendant quelques heures ; cette simplicité et cette pureté aideront le hobby à survivre.

La gamme historico-fantastique de Mythras compte déjà Mythic Britain et Mythic Rome. Mythic Constantinople et Mythic Greece sont les prochains ouvrages prévus. Image tirée du Guide du Roliste Galactique. Tous droits réservés.

Quels sont tes prochains projets pour Mythras ?

Nous avons l’intention de renforcer nos gammes principales : la série des Mythic [suppléments historico-fantastiques], Thennla, Luther Arkwright, Classic Fantasy et les scénarios mensuels que nous avons commencés juste avant Noël. A cela nous ajouterons quelques suppléments urbains [future gamme City] pouvant être intégrés à n’importe quelle cadre de jeu : le premier d’entre eux est en cours de rédaction. Enfin, nous chercherons surement à créer un cadre de jeu SF ou fantastique supplémentaire. Cependant, nous voulons nous focaliser sur ce que nous faisons le mieux et éviter de trop nous diversifier.

Au rayon des sorties prochaines, une campagne Arkwright se profile à l’horizon, un supplément pour Mythic Britain s’intéressera aux Saxons, et nous avons aussi Mythic Constantinople de Mark Shirley et Mythic Greece de Pete [Nash]. De mon côté, je vais créer du contenu pour Thennla et écrire quelques scénarios mensuels supplémentaires, avec notamment des refontes de vieilles aventures rédigées pour Elric. Nous envisageons aussi de compiler les articles que Pete a rédigés pour Fenix [une revue suédoise de JDR] en un seul volume, avec l’ajout de règles supplémentaires.

Et bien sûr, nous continuerons à collaborer avec nos excellents partenaires, tels que d100.fr, RuneQuest Geselleschaft e.v, FrostByte et Old Bones Publishing. Nous espérons nouer de nouveaux partenariats, afin que Mythras puisse intéresser encore plus de joueurs.


d100.fr remercie vivement Lawrence Whitaker pour avoir accepté cet entretien.